jeudi 28 octobre 2010
Un coup d'éclat
"La vérité m’oblige à avouer que les pages de Hara-Kiri s’ouvrirent à la publicité. S’entrouvirent. Une fois. Les conséquences furent immédiates, violentes, catastrophiques. Je vous raconte.
Je venais de découvrir les plaisirs du détournement de photos en même temps que ceux de l’histoire racontée en une suite de documents variés que nous faisions parler par le moyen de bulles dialoguées, come cela se pratique dans les bandes dessinées. Nous avions depuis peu les moyens de nous payer un papier sur lequel les photos rendaient bien, ai lieu de ces fins de série à bon marché qui faisaient des images brouillées et désespéraient nos élans créateurs.
J’étais en trai de mettre la derniére main à une « Histoire de Hitler », je ne me rappelle plus le titre exact, à coups de ciseaux et dans un déluge de cole de poisson – eh,oui ! On découpait aux ciseaux, on collait à la colle et on retouchait au crayon gras, en ces heureux temps où l’informatique tardait à naitre -, lorsque Wolinski s’amena avec deux connaissances à lui, les frères Renoma, d’une famille de confectionneurs dont les affaires commençaient à prendre une certaine ampleur et qui, lecteurs fervents depuis les tout premiers numéros de notre Hra-Kiri, eussent aimé que nous leur mijotions une idée publicitaire sauvage dans le goût de nos facéties. Ils n’avaient pas la trouille, les frères Renoma ! Nous non plus.
Et l’on put voir, en belle photo noir et blanc, se dérouler la fresque bête et méchante hitlérienne, avec, comme conclusion, une superbe vue de défilé où le Führer, enfermé dans un de ces longs et raides manteaux pur cuir chers aux chefs nazis, introduisait un placard vantant la maison Renoma.
Le lendemain, une émeute éclatait rue des Rosiers, une autre forçait les grilles des magasins Renoma, des gars en costumes rayés de déportés cassaient tout, arrosaient d’essence les beaux costumes, voulaient foutre le feu, pendaient toute la famile Renoma, en effigie, heureusement. La gaffe impardonnable, à laquelle, dans notre isolement de tout ce qui touchait à la politique, nous ne pouvions pas avoir pensé : Renoma était une maison juive, le père était un homme juste et craignant Dieu, comme il est dit dans la Torah. On ne comprenait pas ce qui avait pris à l’honorable commerçant, on ne voulait y voir – bien à tort – qu’une provocation raciste, imbécile de publicité profanatoir … Nom de Dieu, le mal que nous eûmes à remonter cette pente là ! Nous nous excusâmes bien bas, Renoma père n’éclata pas de rire à la bonne blague, il finit quand même par en sourire et ne nous fit pas payer les dégâts. Moralité. Peut-on rire de tout ? Pas la publicité, en tout cas. "
Cavanna
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